" Va pour toi, de la terre de ton enfantement vers la terre que je te ferai voir » Genèse 12 1
Je suis partie le 3 avril 2011 pour St Jacques de Compostelle, j’avais ce projet en tête depuis longtemps.
Partir à pied, parce que j’aime marcher, mais aussi pour rompre avec mes habitudes et mes certitudes, me délester de mes préoccupations matérielles, des infos, de tout ce qu’il y a toujours à faire et qui est sans cesse repoussé, prendre de la distance, éprouver la relation que j’entretiens avec mon corps, mes pieds, les autres, mes amours ! Et peut être redécouvrir des potentialités étouffées par le quotidien et voir des choses invisibles jusque là.
Partir à la découverte de moi même, partir à la recherche de ma part divine ?
J’ai marché près de 2000 km… Je suis partie de Briod le 3 avril et suis arrivée à Santiago le 17 juin.
J’ai suivi la via Podiensis, celle qui démarre au Puy en Velay.
76 jours presque identiques : se lever, charger son sac, se remettre en route, partir, marcher 30 kms… Après la journée de marche, trouver un lit, se rassasier, se désaltérer, faire sa lessive, se délasser un peu, soigner les blessures, contempler un jour qui finit et se mettre au repos.
J’ai occupé chaque soir un lit différent, en compagnie de gens différents, dans des lieux inhabituels, parfois insolites : gymnase, couloirs, dortoirs immenses avec lits sur 2 niveaux, parfois le luxe d’une chambre individuelle Et même l’expérience d’une nuit à la belle étoile dans la forêt du Beaujolais dont je suis assez fière !
Les moments de joie intense c’est quand le corps devient léger, le pas est délié, le souffle facile, les kms défilent sans effort dans une joie sans cause apparente, le cerveau est au repos, les pensées en roue libre.
Voir les Pyrénées qui se rapprochent un peu plus chaque jour et, très tôt un matin, grimper en direction du col de Lepoeder, traverser les nuages, déboucher au soleil levant, marcher sur la moquette verte des alpages si douce aux pieds et dans le silence de la montagne, jouir alors d’un paysage grandiose sur les montagnes bleutées : expériences indicibles et répétées sur les plateaux de la Meseta, avec un sentiment aigu d’exister et d’être vivante.
Rencontre avec les merveilles que les hommes ont crées : cloître de Moissac, cathédrale de Burgos, toute en magnificence. Des centaines de croix, d’églises romanes ou gothiques, d’édifices religieux jalonnent le chemin, témoignages de milliers de pèlerins aux fils des siècles.
Joie des rencontres imprévues avec d’autres pèlerins avec qui j’ai marché un jour ou plus, que j’ai perdus en route puis retrouvés parfois. Je prends conscience que l’autre n’existe pas par ce qu’il est (pas d’âge, pas de profession, pas de statut social) ni par ce qu’il sait ou croit mais par ce qu’il vit, par l’expérience partagée : celle de marcher.
Joie des échanges, des repas partagés, des hôtes parfois hauts en couleur,
Fatigue aussi, quand je n’en peux plus des vieilles pierres et que je m’en fiche, que je ne ferais pas un pas de plus pour visiter une énième église, fusse t’elle du 11éme siècle et la plus belle de la région, quand mon corps est fatigué, mes pieds douloureux et que rien ne peut plus exister d’autre.
La fatigue comme limite à mes désirs de rencontre, de disponibilité, de partage, d’échange, de communication…..
J’ai vécu avec ce qui m’était donné chaque jour : je suis entrée et j’ai prié dans toutes les églises et chapelle ouvertes le long de ma route, partagé parfois ce temps de prière avec d’autres ….temps d’action de grâce…
. Le chemin, métaphore parfaite de nos vies, avec les joies, les rencontres, les choix d’itinéraires, les virages, les retours, les changements de direction, les croisements, les hésitations, les balisages trompeurs, les virages, l’essoufflement, la fatigue, le corps qui renâcle….la météo favorable ou pas, la solitude, les potins, les chiens qui aboient, les histoires de corps et de cœurs…
Ce chemin, je l’ai vécu comme une continuité, un chemin dans mon chemin de vie.
Un chemin spirituel qui se construit un peu chaque jour, à partir d’un cheminement personnel plus ou moins hésitant, avec des allers-retours et des expériences dont ce pèlerinage fait partie. Françoise CHARLOT